(capture) hide and seek

T'as rien à foutre ici, tu le sais. Tu te traînes juste, une main dans ta poche droite, l'autre qui retire à intervalle régulière la cigarette que tu te cloues au bec. Pourquoi t'es là ? Vaste question. Vague de nostalgie, peut-être. Ou l'envie de vérifier que ta sœur n'est pas en train de traîner dans un coin sordide. La capuche sur la gueule, Plu se cache en dessous, calé étrangement entre ton cou et le tissu qu'il déforme. Ses yeux brillent dans la pénombre de la capuche, et ça te fait un peu sourire quand tu croises des gens qui froncent les sourcils en croyant deviner sa présence. « T'es une star, babe. » que tu ironises alors qu'un enfant cherche à comprendre ce qui se cache derrière ta nuque. Il est seul, il est sale, et ça te crève le cœur. Tu t'arrêtes pas, pourtant, tu ralentis juste pour lui laisser le temps de voir. T'as grandi ici, t'as appris à te méfier de tout et de tout le monde, même des gamins, mais tu veux brider sa curiosité. Monde de merde. Mais tu lui souris. « C'est un Polichombr ? » qu'il te balance de sa voix de gamin, en montrant ta capuche du doigt. Alors, tu acquiesces. « Wahou ! » qu'il s'émoustille, avant de partir en courant. Tu le vois, au coin de la rue, qui parle à d'autres gamins, alors t'imagines leur conversation et ça te fait rire légèrement. « Mignon. » que tu glisses à Plu en finissant ton mégot que t'écrases avant de jeter.

Tu tournes à gauche, un peu par hasard, en te rallumant une cigarette. Le paysage fait pitié ici. Tu te surprends à te promettre qu'un jour, tu partiras, tu quitteras cette ville de merde. Tu mérites mieux, et tu le sais. Mais tu restes encore, t'as pas le choix. Y'a Lucy. Et tu ne peux pas abandonner ta petite sœur, tu ne peux pas abandonner ta ville peu importe à quel point elle te donne la gerbe dans cet état. T'as l'impression qu'Arceus, ou peu importe quel Dieu, a juste décidé de jeter l'éponge, s'est juste dit "Putain, j'abandonne." et s'est barré sans même mettre de l'ordre dans ses affaires. Ça grouille, ici. Souvent, t'as envie de faire justice toi-même, de remettre à leur place tous ces gamins qui flirtent avec l'interdit, avec le sale - parce que ça te répugne, viscéralement - mais tu serres les dents. Pour l'instant, tu serres les dents. Mais quand le moment sera venu, soit tu ouvriras grand la mâchoire pour mordre, soit tu prendras Lucy sous le bras pour fuir. Pensée coupée net. Tu le vois avant qu'il puisse vraiment se cacher. L'odeur sucrée - l'étrange et trompeuse odeur sucrée des Fantominus - ne trompe pas. Et ça te sort de tes pensées, ça t'interpelle. Il n'a pas été assez rapide pour jouer à cache-cache, et il y a un truc qui te déplaît là-dedans. C'est pas dans la nature de ces farceurs nés de faciliter la tâche aux humains. Alors t'entre dans le bâtiment où il s'est faufilé, tu te prends les pieds dans un truc, tu manques de tomber. "Putain." que tu craches, avant de relever les yeux. "Eh, ça va ?" Tu lances ça un peu au hasard, il s'est caché maintenant. Mais tu sais qu'il est là.

Il se montre pas, ça t'arrache un nouveau sourire. Parce qu'il ricane, et dans ce lieu vide, ça résonne. Il essaie de te faire peur, ou il joue simplement avec toi, peut-être même les deux. « J'te propose un truc. Un cache-cache. Je suis sûre que ça va te plaire. » Dans ton cou, Plu roucoule de joie. Il fini par sortir le bout de sa corne, par voleter dans le coin. « T'éloigne pas trop. » que tu lui glisses dans un souffle doux, le regard presque amoureux quand tes yeux se posent sur sa petite silhouette flottante. Pas besoin de plus que son regard dans le tien pour que tu te sentes en paix avec le reste du monde. « Eh, Fantominus, pas de triche. Prêt ? » Il ricane encore, tu prends ça pour un oui, alors le jeu commence. T'es pas aussi douée qu'un Fantominus à ce jeu là, mais ça te passera le temps. Après tout, t'étais là sans but, non ? Au moins, maintenant, t'en as trouvé un.

Il dure longtemps, le jeu. Il dure des heures, t'as arrêté de compter au bout de la première. Elle triche, la bestiole, tu le sais parce que chaque fois que tu te rapproches de l'odeur sucrée, tu le vois traverser un mur pour changer de cachette. Il te facilite pas la tâche, mais bordel ce que tu t'amuses. « T'es pas fair-play, Fantominus ! » que tu lui balances, au bout d'un moment, mais en riant. T'es pas crédible, Candice. T'as pas un poil de crédibilité quand il s'agit des Pokémons. Tu le vois jamais tout à fait, tu vois parfois sa forme qui s'esquisse à peine. Jusqu'à ce que...

« BOUH ! » que tu meugles en apparaissant derrière lui, ton écharpe remontée sur ton nez pour éviter le risque d'empoisonnement par inhalation de ses gaz. « Trouvé ! » Tu fronces un peu les sourcils. « Il te manque pas un peu de matière, à toi ? » Tu constates, les sourcils toujours froncés, alors que Plu est déjà en train de le fusiller du regard. Toi, tu te contentes de t'asseoir en tailleur. Tu te contentes de réfléchir. Tu vois bien qu'il a perdu du gaz, qu'il est pas aussi imposant qu'il a dû l'être – une sorte d'avantage pour se cacher, mais t'es pas convaincue que ce soit très sain pour lui. Tu te risques à respirer l'air autrement qu'à travers ton écharpe alors qu'il n'a pas l'air de vouloir particulièrement t'empoisonner, et tu le lâches pas des yeux. Ta cigarette s'est éteinte depuis longtemps, alors t'en rallumes une autre, ça t'aide à te clarifier l'esprit. Et, machinalement, tu souffles la fumée vers le haut. Fumée que le Fantominus vient récupérer presque goulûment, te faisant arquer un sourcil machinalement. « Oh. » Le sourire revient sur ton visage. Tu fumes, et tu lui balances la fumée pas franchement très saine. Il a l'air de kiffer, lui, mais surtout, il a l'air de reprendre de la masse, un peu. Et il a l'air heureux. Toi, t'es juste contente de pouvoir l'aider, même si t'aurais jamais pensé que ça puisse être de cette manière.

Tu finis par te relever. Tu sais pas trop depuis combien de temps tu traînes dans ce bâtiment, mais t'as pas tellement envie de laisser la nuit t'envelopper ici. « Ça va mieux ? Cache-toi, la prochaine fois. Tous les humains ne sont pas forcément si sympa que ça, okay ? » Son expression change, tu le vois. Et Plu le voit aussi, parce qu'il te pousse littéralement vers la sortie. « Eh ! » T'as beau gueuler, t'as beau protester, le Polichombr t'enfonce sa corne dans les vertèbres – et ça fait un mal de chien. Mais il est pas assez rapide. Fantominus vous bloque la sortie, en te fixant, et Plu se fout entre vous. « Eh, vous me les brisez, les deux là. J'veux sortir et Plu, j'te jure, refais plus jamais ça. » Mais ils bougent pas. Et putain, ça te rend folle. Alors tu contournes Plu, tu retiens ta respiration, tu te couvres le nez et la bouche et tu traverses Fantominus en fermant les yeux avant de poursuivre ta route. Et c'est eux qu'ont l'air le plus con. Il faut pas longtemps pour que Plu revienne se réfugier dans ta capuche en te faisant la gueule. « T'es vraiment un petit con. » que tu lui dis, en levant les yeux au ciel. Et c'est qu'une fois arrivée chez toi que tu te rends compte des grands yeux qui t'observent par la fenêtre. Des grands yeux de Fantominus, que tu laisses rentrer chez toi en captant qu'il t'empoisonnera pas. Tu te dis que ça va durer deux ou trois jours, puis qu'il repartira...

… sauf que non. Il s'est installé, tu le vois bien. Il compte pas partir, tu le sens bien. Petit squatteur qui a repris sa taille initiale, petite boule de gaz que t'as fini par renommer « Casper » en comprenant que quoi que tu fasses, il resteras scotché à toi.